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Extrait de : Mathilde, un itinéraire sinueux

Mathilde Margonthier - Sylvie Langevin 

Préface

Il y a chez Mado comme une urgence à me raconter sa vie. La vieille dame a quatre-vingt-onze ans. Cette semaine, elle est tombée. Elle me montre ses bleus aux genoux. " pas beau ? ". J’acquiesce. Des enfants du quartier l’ont aidée à rentrer chez elle. Peu avant, elle faisait un infarctus. Elle a déjà écrit une partie de sa vie sur des feuilles de classeur, mais elle tient à m’en brosser un tableau complet, de sa naissance à Ogre en Dordogne à l’appartement de Bagneux. Elle ne sait même plus ce que contient son manuscrit : sept, huit ans ont passé. Qu’à cela ne tienne ! Nous en referons ensemble la lecture et la réécriture !

Elle cherche des photos. Tombe sur celle de Robert, son mari. L’effleure d’une pichenette nerveuse semblant lui dire " Tu m’en as fait baver, mais je t’aimais ".

Au fil des entretiens une complicité naît, Mado se dévoile. Elle aime raconter, Mado, elle connaît les dialogues des personnages de son histoire par cœur et sait leur redonner vie. Elle aime réciter des poèmes, comme " Le Lac " de Lamartine. Jeune fille, elle lisait une sorte de prospectus intitulé " Les films complets " qui racontait des histoires à l’eau de rose, une jeune femme enlevée par de mauvais garçons, finalement délivrée par le beau shérif… Mais elle s’est lassée de ces lectures. Une voisine de ses parents lui a confié un jour un livre de poésie et c’est comme cela qu’elle est tombée dedans.

Plus tard, elle a dévoré les livres d’Eugène Le Roy, un périgourdin, " La petite Nicette ", " Jacquou Le Croquant ".

Mais par-dessus tout, c’est le chant que Mado affectionne. Elle sort d’une chemise une liasse de partitions de chansons de sa jeunesse et en retrouve aussitôt les paroles.

Elle a une jolie voix. Quand elle était jeune sa famille l’appelait " le petit rossignol ". A soixante-six ans, elle commence à apprendre le piano, salle Pleyel. Mais celui de l’appartement se tait définitivement devant les moqueries de sa belle-fille et de sa cousine " tu n’as vraiment plus rien à faire de ta vie pour t’amuser ainsi ".

Ce qu’elle retient de sa vie, c’est surtout son enfance, image triste qu’elle ne peut oublier. Et ses envies contrariées. La musique, le chant. Et le cinéma ! Elle voulait passer du côté technique, mais elle était seule à élever son enfant et les exigences du cinéma étaient telles…

Elle a le sentiment de tout avoir donné, sans rien recevoir.

Elle a acheté plusieurs maisons et se retrouve dans une H.L.M.

Même si elle pense que sa vie n’intéresse pas ses petits-enfants, au fond, elle l’espère. Peut-être un jour…

                                                

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